Les nouveaux modèles économiques font le pari de la coopération
Le Parcours TransitionS proposé par la Marque Bretagne organise un atelier sur les « nouveaux modèles économiques », le 23 juin. Quels sont ces modèles ? Sont-ils facilement accessibles ? Pour quels résultats ? Éléments de réponse avec le témoignage de l’entreprise Cadiou Industrie qui s’est lancée avec succès dans la démarche et l’analyse de Sébastien Marquant, spécialiste de l’Économie de la fonctionnalité et de la coopération.

Ne dites pas à Emmanuelle Cadiou que son entreprise fabrique de simples portails. « Chez Cadiou Industrie, nous façonnons des espaces de vie extérieurs durables et en harmonie avec leur environnement », rétorque la dirigeante de l’entreprise familiale de Locronan (Finistère), en citant la raison d’être de cette ETI de plus de 700 salariés et d’environ 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et, visiblement, cela change tout ! Alors qu’elle produit près de 50.000 portails en aluminium par an (plus de 200 par jour !), l’entreprise leader sur son marché a décidé de garantir ses produits 25 ans, tout en facilitant leur réparabilité dans la durée. Elle a aussi repensé ses relations avec les installateurs, qui sont ses clients directs.
L’initiative, de prime abord, n’allait pas de soi. Dans un modèle économique traditionnel fondé sur la croissance des volumes et un marché de renouvellement rapide, cette garantie étendue limite a priori la vente de matériels neufs. Mais si l’on tient compte des richesses immatérielles valorisées par l’Économie de la fonctionnalité et de la coopération (EFC), alors les perspectives s’inversent. De quoi s’agit-il ? Des connaissances, du savoir-faire, de l’expertise, du maillage territorial sur lesquels l’entreprise s’appuie, sans toujours en avoir pleinement conscience. Selon cette approche, c’est alors moins l’achat d’un portail que la recherche d’une fonctionnalité « durable » qui sera privilégiée.
Regard neuf sur l’entreprise
Emmanuelle Cadiou et ses équipes l’ont bien compris. Très engagée dans les démarches de développement durable et de Lean management (cette approche industrielle qui responsabilise tous les acteurs de la chaîne de production autour de la qualité et du « juste nécessaire »), l’entreprise a été accompagnée en 2019-2020 par le cabinet ImmaTerra pour définir sa vision 2025 dans une approche EFC.
« Il n’y a pas de nouveaux modèles économiques s’il n’y a pas un regard neuf posé sur l’entreprise, sur les limites des modèles en place, par rapport aux grands enjeux, économiques, environnementaux et sociétaux que nous connaissons. La question des transitions interroge aussi le contexte : veut-on aller vers des transitions subies ou au contraire choisies, et même heureuses ? », explique Sébastien Marquant, président d’ImmaTerra, qui animera le 23 juin le prochain atelier TransitionS consacré à ces nouveaux modèles économiques, aux côtés d’Anne-Bérengère Siroën, enseignante en RSE à UniLaSalle et responsable de l’entrepreneuriat étudiant. Pour le consultant, spécialiste de l’EFC, le fait de réfléchir à ces questions en atelier, avec d’autres acteurs économiques, permet de recevoir un retour positif et bienveillant sur ses propres pratiques, et de faire bouger les lignes.
Logique de coopération
Emmanuelle Cadiou en a profité pour imaginer de nouvelles relations avec ses installateurs. « Nous avions beaucoup de stocks : nous avons décidé d’en faire une force, en ouvrant des plateformes logistiques au plus près des besoins », explique-t-elle.
Après Compiègne (Oise) et Lyon (Rhône), c’est au tour de la région rennaise d’en bénéficier, avec une plateforme de 5000 mètres carrés à Chateaubourg, qui sera opérationnelle en septembre, moyennant un investissement de 2 millions d’euros. Et pour desservir la région Aquitaine, un terrain vient d’être trouvé près de Bordeaux. Originalité du modèle préconisé par Cadiou Industrie : outre les stocks de matériels, ces plateformes abriteront également des centres de formations dédiés aux installateurs, pour les aider à répondre à leurs difficultés de recrutement, de manière concrète.
« On est bien ici dans une logique de coopération, ce qui signifie faire œuvre commune pour avoir un plus grand impact », souligne Sébastien Marquant. Et le consultant de citer un autre exemple très représentatif de cette démarche en plein essor. Fin 2019, les équipes de Décathlon réfléchissaient à un moyen de proposer à leurs clients un casque de vélo recyclable et recyclé. « Nous avons mis cette démarche en écho avec la raison d’être de Décathlon et nous leur avons proposé d’imaginer une solution intégrée d’incitation à la mobilité douce, à l’échelle de la métropole lilloise : vélo, vêtements, casque, mis à disposition, avec des services une appli… On le voit, cela va bien au-delà de la location de casque ! », souligne Sébastien Marquant. Le nouveau modèle économique qui découle de cette solution intégrée est fondé sur la monétisation de bénéfices environnementaux, sociaux, et monétaires que l’on va retrouver ici, dans la capacité offerte à une famille de la métropole lilloise de se passer de voiture pour les trajets du quotidien. L’expérimentation, couronnée de succès, pourrait faire école dans d’autres villes.

Davantage de services
Dans cet exemple, comme dans celui de Cadiou Industrie, la raison d’être de l’entreprise occupe une place essentielle. Loin d’être un slogan publicitaire vide de sens, elle propose une vision et dessine un chemin stratégique. C’est sur cette base que l’industriel finistérien travaille actuellement à offrir de nouvelles fonctionnalités à ses produits, en rendant ses clôtures « intelligentes » en y intégrant des boites à colis connectés, ou des bornes de recharges pour les voitures électriques. «
De même que Michelin ne vend plus des pneus, mais garantit des kilomètres aux automobilistes, ou que les fabricants de chaudière savent que leurs clients achètent chez eux non pas seulement un équipement encombrant, mais d’abord l’assurance d’un confort thermique à domicile, nombreux sont les acteurs économiques à se réinterroger sur la finalité de leurs productions. « Il s’agit, désormais, de rendre davantage de services en prélevant moins de ressources et en étant plus efficaces », résume Sébastien Marquant. Et selon l’expert, les mentalités pourraient évoluer plus rapidement que prévu sous la contrainte des pénuries de composants, de la flambée du prix des matières premières et du retour de l’inflation. « Si 20% du chiffre d’affaires est assuré de manière contracyclique grâce une offre intégrée au service, cela permet de voir les choses différemment lorsque les usines tournent au ralenti faute de composants !», souligne-t-il, non sans ironie. De quoi, peut-être, accélérer les prises de conscience pour adopter de nouvelles propositions de valeur socialement responsables et économiquement rentables.
Xavier Debontride
(Journaliste – Média Autrement Production)